A propos de
« Une Théorie de la Connaissance chez Goethe »
de Rudolf Steiner
aux Editions Anthroposophiques Romandes, édition 1985
Avant-lire
La méthode de recherche exclusivement considérée comme scientifique par le milieu institutionnel des sciences est légitime pour l’étude quantitative des phénomènes physiques et mécaniques de la matière inorganique. Elle ne l’est plus, selon R. Steiner, pour aborder l’étude qualitative des phénomènes du monde organique ou du domaine psycho-spirituel. A partir de l’exemple concret et fécond du mode de recherche adopté par Goethe pour l’étude des mondes végéta et animal, il fonde une méthode de connaissance préfigurant une science du vivant, adaptée aux processus de vie. De même il propose un approfondissement des sciences humaines en abordant les phénomènes humains ou culturels avec des outils de pensée, concepts et idées, qui leur soient adaptés. Dans le résumé ci-après de « Une Théorie de la Connaissance chez Goethe » je ne présente que brièvement la première partie du livre qui est une sorte de tronc commun avec « Vérité et Science », (cf. l’article n° 149 de ce même Blog). R. Steiner montre ensuite ce qu’il faudrait modifier dans la méthode scientifique générale de base pour l’adapter aux domaines de recherche du vivant végétal ou animal et au domaine étudié par les sciences humaines que sont la psychologie, l’ethnologie, la sociologie et l’histoire. La fin du livre aborde le rapport spirituel entre l’approche scientifique et la création artistique.
Dans les années 80 du 19e siècle Rudolf Steiner fut chargé d’écrire une introduction aux œuvres scientifiques de Goethe conservés aux archives de Weimar.
Dans l’œuvre de Goethe où se révèle sa conception du monde et de la vie « régnait l’humain le plus parfait et le plus pur » admire R. Steiner, qui écrit de plus: « Jusque dans les détails, ma propre conception me plaçait au cœur d’une épistémologie de la conception goethéenne du monde.»
Tout d’abord, thèse de doctorat
A la même époque, préparant sa thèse de doctorat de philosophie, ses « pensées vivaient dans les conceptions philosophiques de l’époque concernant l’essence de la connaissance » écrit-il en préface. C’est pourquoi s’y exprime des comparaisons avec les opinions philosophiques de son temps au sujet de la connaissance.
Son estime et ses affinités avec l’œuvre de Goethe l’amena non seulement à défendre la démarche scientifique de celui-ci mais aussi à la fonder philosophiquement dans ce deuxième ouvrage de sa vie, vie qui fut consacrée à la connaissance.
R. Steiner s’oppose au courant philosophique du 19e siècle qui établit des limites à la connaissance et refuse à la conscience humaine d’accéder à un savoir de la vraie réalité, reléguée dans un au-delà insaisissable par le philosophe Kant qui va influencer des courants philosophique et scientifique jusqu’à nos jours.
Ce qui différencie R. Steiner des autres
Ce qui éloigne R. Steiner de beaucoup d’autres épistémologues est fondamentalement sa conviction « qu’il existe une réalité spirituelle» qui permet de « comprendre l’évolution du monde » et des connaissances.
En préliminaire R. Steiner considère que « la tâche de la science ne consiste pas à soulever des questions mais à les observer avec soin lorsqu’elles sont posées par la nature humaine et par le niveau de culture du moment, et d’y répondre. ». Il regrette que la science les néglige « de sorte que nous avons une science que personne ne recherche et un besoin scientifique que personne ne satisfait. »
(Les choses ne se sont pas arrangées puisque la recherche fondamentale qui devrait « nous éclairer sur les énigmes du monde » n’a cessé de régresser au détriment des recherches mercantiles d’exploitation de la nature et maintenant, au 21e siècle, de l’homme lui-même.)
Chaque science a un domaine particulier où est recherchée la cohérence des phénomènes à partir d’une mise en relation de la réalité tangible observée avec le monde idéel des conceptions scientifiques. C’est pourquoi il est indispensable de discerner quels sont les rapports réciproques entre ces deux mondes opposés qui semblent inconciliables à certains. Quel est le rapport entre un objet de la réalité sensible et notre penser humain au sujet de cet objet ? C’est une science de la connaissance qui doit y répondre.
Le processus de connaissance
Et pour répondre à cette question Steiner va déterminer ce qu’est une expérience et son contenu, ensuite il va décrire l’activité de l’esprit humain au cours du processus de connaissance avec le rôle et la nature du penser dans les premiers chapitres que je vais très brièvement résumer car ils font double emploi, bien qu’exprimés différemment, avec sa thèse de « Vérité et Science » (résumé dans le dossier n° 149 de ce même blog).
Dans les chapitres suivants il expose pourquoi et comment les méthodes scientifiques doivent être adaptées aux différents domaines de recherches selon que l’on y étudie l’inorganique, l’organique ou les humains.
En conclusion il compare connaissance et création artistique
Qu’est-ce que l’expérience pure ?
Dans les premiers chapitres, il décrit l’« expérience pure» scientifique ou non : c’est-à-dire la forme sous laquelle nous apparaît la réalité sensible perçue par nos sens. (C’est aussi ce qu’il appelle le « donné immédiat » dans « Vérité et Science »). Le contenu de cette expérience pure décrite par l’observation pure est une juxtaposition d’objets dans l’espace ou une succession de faits dans le temps. Dans cette expérience où seule l’observation est concernée, les multiples choses sont équivalentes, les faits sont incohérents. Mais notre esprit humain spontanément aspire à élucider les rapports entre les éléments ou les faits particuliers et pour cela recherche une cohérence dans la multiplicité des éléments observés.
Pour différencier et hiérarchiser la diversité perçue, pour comprendre le sens des divers éléments de l’ensemble vu, il faut réfléchir à ce qu’on vient d’observer, il faut penser.
Avec nos sens nous n ‘accédons qu’à une moitié de la réalité que notre faculté de penser complète.
L’expérience scientifique
Dans l’expérience scientifique la réalité observée est élucidée, comprise après qu’elle soit élaborée par les concepts et les idées scientifiques en cours. Malgré cela beaucoup de scientifiques modernes commettent l’erreur de négliger le rôle de leur propre penser dans l’éclairage des phénomènes et croient encore que seule la description ou l’énumération de la réalité sensible sont objectives et « scientifiques » comme si cette réalité sensible était une chose achevée, complète et saisissable telle qu’elle se présente.
Paradoxalement ces mêmes scientifiques qui dénient au monde idéel du penser son objectivité et sa tâche indispensable, transgresse sans cesse leur propre théorie de l’expérience dès les premières explications scientifiques des faits, forcément issues des concepts et des idées qu’ils ont pu acquérir.
R. Steiner rectifie donc une fausse conception de l’expérience qui a donné naissance ensuite à l’opinion que le monde apparent ne serait que le monde subjectif de nos représentations. Il fait remarquer que le prédicat de subjectif attribuée au monde perçu suppose qu’on y applique une connaissance particulière issue de la pensée et que ce ne peut pas être le point de départ d’une théorie de la connaissance qui doit partir, pour rester rigoureusement scientifique et ne pas être entachée d’erreur, d’un point situé hors de la connaissance dont il faut d’abord examiner le processus.
(De plus si la réalité perçue est le monde subjectif de nos représentations, comment peut-on considérer en même temps que seule sa description serait objective...?)
Bien que la plupart des hommes n’en voient que l’expression individuelle et subjective, le monde idéel est un monde objectif, universel, commun à tous et dont l’existence repose sur ses propres lois (cf. l’article n° 149 de ce même Blog).
De « Vérité et Science » à « Une Théorie de la Connaissance chez Goethe »
Ce que R. Steiner ajoute dans cet ouvrage-ci, par rapport à « Vérité et Science », c’est la description de la « double tâche du penser » qui consiste à :
1) Créer des concepts
2) Rassembler les concepts particuliers en un tout homogène.
Cette double tâche est assurée par deux fonctions différentes : l’entendement et la raison, selon la terminologie employée par R. Steiner.
L’entendement sépare, distingue avec précision, analyse et maintient les éléments et les concepts séparés ; c’est l’étape préliminaire indispensable et analytique de la démarche scientifique.
Le rôle de la raison
La raison unit les éléments et les concepts en un tout harmonieux, elle synthétise et retrouve l’unité intrinsèque de l’objet d’étude ; c’est la raison qui permet la compréhension unitaire du monde saisi dans la clarté des concepts particuliers.
L’entendement éloigne de la nature par la séparation artificielle qu’il crée d’abord tandis que la raison ramène à la réalité naturelle en retrouvant l’unité, en retrouvant les liens qui relient les parties de la réalité.
Les pensées isolées fixées par l’entendement sont reliées en idées par la raison qui ramène un ordre et l’unité dans la multiplicité des concepts.
La raison ne présuppose pas l’unité, ne la crée pas, mais elle la révèle quand elle existe dans l’objet considéré.
Dans le jugement le plus simple qui réunit un sujet et un prédicat, donc deux concepts (ex : « Tout corps est pesant ») est impliquée une activité élémentaire de la raison.
Une science sans raison donnerait un simple catalogue d’éléments comme par exemple le « classement » de Linné pour les plantes, qui ressemble plus à une énumération qu’à un réel classement.
Une précision importante
R. Steiner précise que « l’unicité peut être ressentie ou pressentie obscurément par le cœur » qui remplace alors la raison en absence de démarche scientifique.
(Cette précision me permet de comprendre les expressions âme d’entendement et de sentiment ou âme d’entendement et de cœur utilisées par R. Steiner dans d’autres ouvrages pour désigner des parties du psychisme humain)
L’esprit humain n’est pas un réservoir d’idées mais un organe de perception des idées par la raison.
En conclusion une science de la connaissance saisit le rôle du connaître pour le monde, en indique son but idéal qui est de parachever l’expérience, en détermine le contenu qui s’avère être idéel et montre comment s’accomplit l’acte de connaître. Tout ce processus étant déjà décrit et expliqué dans le résumé 149 du blog.
Rechercher l’essence des choses consiste donc à retourner au contenu d’idées du monde. Et chaque science a un domaine d’étude spécifique mais selon que ce domaine est inorganique ou organique ou humain, les méthodes scientifiques doivent s’adapter pour accéder à cette essence des choses étudiées.
La méthode scientifique spécifique à l’étude quantitative de l’inorganique inerte est un cas particulier de la démarche scientifique générale et R. Steiner en propose des adaptations pour le monde vivant de l’organique et pour les sciences humaines, toutes éminemment qualitatives.
Une théorie de la connaissance adaptée à l’étude de l’organique
Après avoir pris comme sujet d’étude le mode d’observation de Goethe, R. Steiner décrit une théorie de la connaissance adaptée à l’étude de l’organique. Pour le végétal et l’animal Goethe a confronté ses observations et ses pensées et en a attendu le résultat. Il a recherché l’idée manifestée dans les phénomènes, dans ses sujets d’étude pour en comprendre la vie et ses manifestations.
Contrairement à ses prédécesseurs, jusqu’au 18e siècle, il ne recherche plus la finalité d’un organe ou d’un organisme mais il cherche comment ceux-ci se développent et pour cela il applique une méthode qui lui sera féconde en découverte, une méthode scientifique mais qui ne sera pas reconnue par ses pairs parce que non démonstrative.
Pour Goethe et pour R. Steiner la méthode scientifique est bien plus vaste que « l’explication du monde par les lois de la physique ». La méthode de la physique n’est pour eux qu’un cas particulier de la méthode scientifique générale reposant sur l’observation élaborée par le penser humain.
Pour étudier l’inorganique et pour les mécanismes, il est légitime de procéder par démonstrations fondées sur certaines règles à partir d’hypothèses de départ et d’employer les mathématiques pour quantifier des objets d’étude du règne minéral. Pour les règnes du vivant végétal et animal Goethe procède par développement et non par démonstration. Il recherche le modèle général, l’organisme général à partir du modèle particulier qu’il observe. Ce modèle général de référence est appelé Type par R. Steiner.
La notion de « type »
L’outil de recherche « type » est un modèle idéel, « fluide, d’où se laissent dériver les genres et espèces particulières ». Les types spécialisés, les sous-types et les types sont « à la base de l’évolution ». Le type est « un organisme primordial ». La plante primordiale, l’animal primordial ou l’organe primordial n’appartiennent pas à la réalité sensible, ils sont uniquement perçus par l’esprit humain.
Les formes particulières du monde organique sont des manifestations des types idéels. Le type permet de voir dans chaque forme particulière spécifique la forme primordiale. Ce type joue le même rôle pour l’organique que la loi physique naturelle pour l’inorganique, loi qui régit une infinité de phénomènes particuliers quand elle est confrontée aux faits. Quand l’étude scientifique de l’inorganique ramène un phénomène à une loi physique, l’étude scientifique de l’organique ne confronte plus le fait à une loi mais développe une forme à partir de la forme primordiale par une série de formes évolutives dérivées, en pensée, du type.
Pour cette activité de recherche dans le domaine organique du vivant l’esprit qui cherche à dégager un type doit fournir une activité plus intense que celle nécessaire pour extraire la loi générale qui régit les phénomènes particuliers, nous précise R. Steiner. Dans une science du vivant c’est l’esprit qui doit contempler : «L’esprit doit assumer une activité qui incombe aux sens dans la science de l’inorganique » ou « La faculté de jugement doit contempler en pensant et penser en contemplant »
Cette activité de l’esprit permet le jugement intuitif, pratiqué et mis en évidence par Goethe, défendu par R. Steiner et renié dans la théorie de la connaissance de Kant.
Pour résumer…
Dans la science de l’inorganique : la loi, la démonstration et le jugement réflexif sont adaptés mais dans une science de l’organique, c’est le type, le développement, la comparaison et le jugement intuitif qui sont appropriés. Les travaux scientifiques de Goethe n’ont pas été reconnus à leur juste valeur malgré ses découvertes parce que le milieu scientifique institutionnel rejette les affirmations sans méthode démonstrative (et actuellement sans tentative de quantification).
L’intuition est aussi rejetée malgré les nombreuses découvertes de scientifiques ou de techniciens où elle est impliquée. Elle est assimilée à la foi qui est une vérité donnée toute achevée sans les raisons qui la justifie, ce qui n’a rien à voir avec la compréhension acquise par intuition dans laquelle les raisons des affirmations sont connues.
Les Sciences humaines, sciences de l’esprit humain
Les sciences de l’inorganique et de l’organique sont des sciences de la nature qui complètent toutes deux à leur façon la réalité sensible perçues par nos sens. Mais les sciences humaines ne sont plus des sciences de la nature, ce sont des sciences de l’esprit humain, elles étudient des contenus spirituels : le psychisme, les convictions scientifiques successives, les créations culturelles, les œuvres d’art, etc. Donc la réalité qu’elles étudient contient déjà l’idéel sans l’intermédiaire d’une science : « L’homme s’explique avec lui-même et son espèce. » dans les sciences humaines telles que la Psychologie, la Sociologie, l’Histoire, etc.
L’être humain et ses manifestations ne sont compréhensibles ni par les lois naturelles, ni en tant que forme particulière d’un type général, Les sciences humaines exigent donc une autre méthode d’approche scientifique.
L’humain se donne ses propres lois, il n’est pas entièrement déterminé de l’extérieur par la nature, par l’État ou par l’Histoire. Les influences héréditaires et sociales ne suffisent pas à comprendre un être humain autonome, non dépendant d’une pure nécessité.
Comment l’être humain participe à la vie du monde
La Psychologie, l’Ethnologie, l’Histoire montrent comment les sujets humains participent au monde et leur façon de s’intégrer à la structure du monde dépend d’eux-mêmes. L’être humain n’est pas une créature entièrement conditionnée par la nature et la nécessité d’une part et d’autre part, les sciences humaines étant des sciences de l’esprit elles sont donc aussi « des sciences de la liberté ». De ce point de vue « l’idée de la liberté doit être leur centre et les dominer »
(La liberté, pour R. Steiner est une liberté de penser, elle appartient au domaine de l’esprit. Son ouvrage fondamental est « La philosophie de la Liberté »)
Contrairement au domaine du pur organique où le particulier est conditionné par le type général, pour le domaine de l’humain, le général est conditionné par le particulier. L’opposition fondamentale entre la Nature et l’Esprit se retrouve dans les sciences. Dans les sciences de la Nature la loi physique générale ou le type général éclairent les phénomènes particuliers tandis que dans les sciences humaines, sciences de l’esprit humain, la loi est donnée par le particulier, c’est le particulier qui présente de l’intérêt.
Par exemple ce sont les personnalités particulières historiques qui font l’Histoire et conditionnent l’évolution historique générale des sociétés humaines. Pour les sciences humaines l’idée de la personnalité doit être maintenue comme référence, et joue le même rôle que l’idée du type pour la science de l’organique.
Selon R. Steiner, la Psychologie, première science humaine où l’esprit humain s’étudie lui-même, devrait étudier l’esprit en tant qu’entité active et non se contenter d’étudier seulement les phénomènes par lesquels l’esprit se manifeste car cela conduit à « une science de l’âme sans âme », au lieu d’élaborer une véritable Psychologie. « Il importe de reconnaître dans leur essence les manifestations de l’esprit, penser, sentir, vouloir, en tant qu’expression de la personnalité. Ces manifestations de la personnalité sont liées au centre ’Je’ de l’être humain. »
L’être humain et la notion de peuple
L’homme existe aussi dans une société avec une individualité en lien avec un peuple. Les sciences sociales étudient comment les individualités vivent et agissent au sein d’un peuple ou d’une nation. L’individualité du peuple devrait donc être un objet d’étude pour ces sciences et elles devraient montrer quelle forme devrait prendre tel Etat pour que l’individualité de tel peuple puisse s’y exprimer.
En opposition à l’opinion que la Constitution de tous les peuples doit s’organiser selon un certain modèle, R. Steiner est convaincu que la « Constitution qu’un peuple se donne à lui-même doit être tirée de son essence la plus profonde » et qu’elle doit exprimer le caractère individuel du peuple sous forme de ses lois.
(Cette conception est en opposition avec la volonté mondialiste actuelle d’uniformisation des pays)
De même que la Psychologie doit « explorer l’essence de l’individu particulier », l’Ethnologie doit étudier « l’individu immortel », c’est-à-dire comprendre l’individualité particulière d’un peuple en ce qu’elle a de raisonnable. L’Ethnologie devrait être une psychologie des peuples.
Voici le point de vue de R. Steiner qui rend possible la liberté : « Tout ce qui a une grandeur morale s’accomplit sous l’impulsion directe d’une idée individuelle et non sous l’autorité de lois morales extérieures ».
Qu’il existe une majorité d’humains se conformant à des commandements extérieurs, qu’il existe une humanité contrainte et soumise à une nécessité comme le seraient de simples créatures naturelles, n’empêche pas qu’il existe aussi des individus libres, guidés par leur propre idéal, poussés par une impulsion venant d’eux-mêmes et non venant de l’extérieur par des lois morales ou politiques. Ce sont d’ailleurs ces humains libres qui agissent en fonction de ce qu’ils comprennent et selon des commandements qu’ils se donnent à eux-mêmes qui influencent le plus les sociétés et le cours de l’Histoire.
L’Histoire
L’Histoire est une science humaine dont l’objet d’étude est l’homme, ses actions, ses opinions, etc. L’Histoire doit découvrir comment les hommes contribuent au progrès de leur espèce, doit comprendre le vouloir et les tendances de la nature humaine. Les lois en Histoire ne sont pas de simples relations de causes à effets comme pour les lois naturelles de la physique. Un fait historique est toujours déterminé par un facteur idéel, par les idées des hommes.
Les méthodes des sciences humaines doivent donc être fondées sur l’appréhension directe de la réalité idéelle, leur objet d’étude est spirituel, c’est celui de l’esprit humain sous ses différentes manifestations.
Dans cet ouvrage R. Steiner fait une digression à partir de sa conception de l’homme qui ne peut trouver qu’en lui-même le but et le noyau de son existence, ce qui signifie qu’il est responsable de son bonheur ou de son malheur. Pour R. Steiner optimisme et pessimisme n’ont pas beaucoup de sens. Le monde n’est ni bon, ni mauvais, il devient l’un ou l’autre par l’homme. Mais il va plus loin encore, en toute cohérence avec sa conception de l’homme et de l’Univers : « Si une puissance lui octroyait le bonheur de l’extérieur, elle le condamnerait à la non-liberté ».
En conclusion à cet ouvrage il met en parallèle la connaissance et la création artistique qui ont été aussi les deux manifestations créatives de la vie de Goethe. R. Steiner a montré que le connaître n’est pas passif, que c’est une activité et que le vrai contenu des sciences est le monde des idées perçu par l’esprit des scientifiques et non la matière extérieure observée par leurs sens. La création artistique est une autre activité humaine par laquelle un artiste tente d’imprimer à une réalité extérieure, à un matériau, une idée contemplée par son esprit.
Ce qui est idée dans les sciences devient image dans l’art
La science et l’art ont donc un but commun : surmonter la réalité sensible par l’esprit.
« Le scientifique regarde l’idée à travers le sensible tandis que l’artiste aperçoit l’idée dans le sensible. »
L’ouvrage se termine par cette citation de Goethe : « Je pense que l’on pourrait appeler la science...le savoir abstrait ; l’art...serait la science appliquée à l’acte. La science serait la raison et l’art ...la science pratique. De sorte que la science serait le théorème et l’art le problème. »
Plus personnellement…
La démarche de Goethe pour étudier le végétal ou l’animal, méthode qui compare chaque forme organique particulière à un type général perçu en esprit est une méthode comparative dont a été vérifiée le bien-fondé et l’efficacité dans les études de la matière organique grâce à la technique qualitative dite par « Cristallisation Sensible », (technique décrite et recherches en partie consignées dans « Cristaux Sensibles » de Tesson et Fernandez-Bravo, Ed. Du Fraysse, 1998).
La description minutieuse des ICS (images de Cristallisation Sensibles), préconisée par des scientifiques, n’avait mené à aucune connaissance de la substance organique.
Deux choses ont été décisives pour la pratique dont le but était de hiérarchiser les qualités nutritives des aliments en fonction de leur méthode d’agriculture ou de transformation.
1) D’abord percevoir des types et sous-types d’ICS correspondant à des types de substance, des types de végétaux ou des types d’organes de végétaux désignés tantôt par « type » (type fleur, type racine, type feuille, type fruit, type graine, etc.), tantôt par « image caractéristique de... » (de céréale, de plante aromatique, etc.).
2) Et, ensuite, de prendre du recul par rapport à l’observation pure des ICS et réfléchir à ce que pouvaientt signifier les multiples comparaisons d’ICS entre elles d’une part et, d’autre part, par rapport aux substances correspondantes étudiées. La confrontation entre les observations des ICS et les idées ou connaissances déjà acquises concernant les substances étudiées se sont révélées fécondes.
Le contrôle de qualité des substances alimentaires, donc la faculté de hiérarchiser des qualités par les ICS ne fut possible qu’après avoir perçu les différents types que les ICS proposaient à force de comparaisons multiples à différents niveaux. Grâce à la volonté de comprendre, la confrontation permanente entre les observations comparatives et les raisonnements a permis d’utiliser concrètement les Images obtenues par la technique de Cristallisation Sensible.
En résumé, la perception de ces types idéels, après comparaisons multiples d’ICS et réflexion incessante, s’est révélée fructueuse tandis que la pure observation des ICS était restée sans résultat significatif, sans possibilité de hiérarchisation des ICS. Celles-ci n’étant que des supports de visualisation (ou de contemplation) des qualités vitales des substances organiques étudiées.
Pour faire mieux saisir ce que signifie cette visualisation de types, il est possible de la comparer analogiquement avec la perception, par exemple, d’un « air de famille » entre un enfant et un adulte dont les morphologies ne sont pourtant pas identiques.
Ensuite l’auto-observation, après coup, des raisonnements appliqués en vue d’utiliser les ICS pour une estimation qualitative des aliments, a permis de la rendre transmissible comme toute autre méthode scientifique et de la transmettre à des dizaines de personnes ayant un but de hiérarchisation qualitative des ICS et des substances organiques.
Ce sont les ouvrages de R. Steiner qui ont permis de défendre le caractère scientifique de ces recherches qualitatives par C.S.