08 septembre 2022

113. L'erreur est humaine. Aux frontières de la rationalité - Vincent Berthet

 

« L’erreur est humaine  

Aux frontières de la rationalité » 


de Vincent Berthet

CNRS Editions 2018.

 

 

Avant-lire

                                  « Prédire est difficile, surtout quand il s'agit du futur » 

                                   disait le physicien Niels Bohr.


En 2022 quels sont les pouvoirs publics qui œuvrent pour une société éclairée et responsable ? Tout est fait actuellement, en France, en Europe et ailleurs, pour désinformer et déresponsabiliser les individus de tous âges, pour les manipuler et les asservir. La résistance à cet état de fait passe par les connaissances dans tous les domaines, par l’effort mental de chercher à savoir et de s’éduquer le plus possible.

Ces dernières années des algorithmes ont piloté des décisions gouvernementales à partir de bases de données contestées par des scientifiques, en particulier par le mathématicien Vincent Pavan en ce qui concerne les algorithmes qui ont présidé aux mesures sanitaires depuis 2020[1].

Qu’en est-il de l’utilité des algorithmes établis à partir de bases de données correctes ?

Est-ce que le jugement humain a besoin d’être complété par des outils de ce type ?


 


L’erreur est humaine…

 

En introduction  à son livre, Vincent Berthet[2] pose la question : « Nos choix sont-ils rationnels ? »

 

« La  question de la rationalité des individus est au cœur des sciences sociales.»

Le discernement joue un grand rôle dans la vie qui est faite de choix divers, anodins ou décisifs. Et ces choix, d’individus doués de raison, sont-ils toujours basés sur un raisonnement ?

 

« Dans les années 1970, les travaux des psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky ont démontré expérimentalement les limites de la rationalité humaine à travers la notion de ‘biais cognitif’. Par exemple, nous avons tendance à être trop confiants dans nos propres jugements, à surestimer les petites probabilités et à sous-estimer les probabilités élevées, ou encore à sous-estimer l’influence du hasard.»

 

La notion,  à la mode actuellement,

de biais cognitif, renvoie

à une certaine irrationalité

des comportements humains.

 

La prise en compte des biais cognitifs a impulsé une nouvelle discipline économique, l’économie comportementale et a modifié de multiples autres disciplines, du management aux politiques publiques. Mais « les recherches en psychologie et en économie autour de la rationalité limitée ainsi que les applications qui en découlent demeurent relativement peu connues en France.»

 

Les chapitres de ce livre développent les idées et les travaux en relation avec les limites de la rationalité et en donnent de nombreux exemples. L’hypothèse de la rationalité humaine des sciences sociales est donc partiellement remise en question par ces travaux récents qui montrent notre tendance à dévier de la trajectoire rationnelle.

 

Les limites de notre rationalité résultant de nos propriétés cognitives.

 

Notre cognition « comporte deux types d’éléments : des représentations mentale et des processus qui opèrent sur ces représentations. » Ces processus montrent une inclination narrative

 

Ces études  récentes, en particulier celles de Kahneman, divise l’esprit en 2 systèmes : l’intuition et la raison.

 

Deux systèmes

 

Le traitement de l’information par le système  de l’intuition ne demande aucun effort mental, il est automatique et « délivre spontanément et rapidement des impressions.»

Le système de la raison  « correspond aux processus contrôlés et produit de façon délibérée et lente des jugements. Concrètement...correspond...au fait de penser ou de réfléchir...qui mobilise l’ensemble des ressources mentales. »

 

« Le système 2 (de la raison)  fonctionne sur la base de règles manipulées dans la mémoire de travail. La réflexion consciente implique le langage et permet d’utiliser des règles abstraites et générales. Le système 1 (de l’intuition) quant à lui fonctionne sur la base d’associations ...non verbales, non logiques, et renvoient à des connaissances stockées dans la mémoire à long terme. Ainsi l’une des propriétés remarquable du système 1 est l’activation automatique d’associations...qui correspondent à des connaissances et des souvenirs liés» au mot vu, par exemple, et cela de façon inconsciente la plupart du temps.

 

Les deux systèmes n’ont pas le même rapport aux émotions

 

Les stimuli émotionnels sont traités automatiquement par le système 1, plus perméable aux émotions. Par exemple, pour notre survie, la peur déclenche automatiquement une réaction de fuite face au danger. Mais cette émotion peut aussi influencer des décisions plus complexes que celle de fuir un danger.

 

Malgré leurs différences : automatique / contrôlé, rapide /lent, perméable aux émotions / sang-froid, les 2 systèmes ne sont pas indépendants dans leur fonctionnement. Par exemple « les impressions produites par le système 1 nourrissent les réflexions du système 2...l’intuition nourrit la raison et la raison peut tempérer l’intuition. »

 

Des travaux essentiels

 

Mais la plupart du temps le système 1 n’est pas contrôlé par le système 2 et suggère des réponses ou des jugements  rapides mais faux : « Les gens n’ont pas l’habitude de bien réfléchir et se contentent souvent de faire confiance à un jugement plausible qui leur vient rapidement à l’esprit » souligne Kahneman (2003).

 

Le système 1 correspond à un « pilotage automatique de l’esprit » et « gouverne essentiellement nos comportements et nos décisions » parce que nous utilisons ce mode de fonctionnement la plupart du temps.

 

L’auteur illustre son propos d’exemples divers.

 

Les travaux de  Daniel Kahneman et Amos Tversky montrent également…

 

►1) comment les raccourcis cognitifs (les heuristiques) biaisent les jugements en situation d’incertitude,

►2) comment il est possible de « construire un nouveau modèle de décision en situation de risque, plus réaliste que le modèle économique standard » et enfin

►3) comment la structuration de l’information influence les choix des individus

 

Heuristiques et biais : le raccourci mental

 

1.  Heuristiques et biais :   Daniel Kahneman et Amos Tversky pensent que « les individus ne produisent pas leurs jugements et leurs décisions sur la base de calculs rationnels mais sur la base d’opérations mentales routinières appelées  heuristiques. »

 

« Une heuristique est une opération mentale automatique, intuitive et rapide qui produit un comportement adapté à une situation sur la base d’un moindre effort mental. »

 

Ce raccourci mental permet des décisions rapides et donne souvent des jugements appropriés, utiles et efficaces mais parfois il conduit à des erreurs graves et systématiques. C’est pour désigner ces erreurs systématiques que l’on parle de biais cognitifs.

 

Erreurs aléatoires et erreurs systématiques

 

Contrairement aux erreurs aléatoires les erreurs systématiques sont prédictibles, ce qui permet de prédire l’apparition d’erreurs dans certaines conditions lorsque les jugements des individus sont élaborés sur la base d’heuristiques.

 

En trouvant  les situations mettant en évidence les erreurs de jugement systématiques Kahneman et Tversky ont pu « démasquer les heuristiques et les biais qui définissent le jugement humain » et « caractériser la rationalité limité de l’esprit humain »

 

Les trois heuristiques majeures

 

Ce chapitre énumère et explicite 3 principales heuristiques : l’heuristique de disponibilité, l’heuristique d’ancrage-ajustement et l’heuristique de représentativité

 

Heuristique de disponibilité : juger la probabilité d’un événement sur la faciliter de remémoration des exemples de cet événement. Exemple : les risques de mourir d’un cancer de l’estomac est 17 fois plus fréquent que la mort par homicide, mais la médiatisation des homicides fait croire à la plupart des gens que la mort par homicide est plus fréquente. Cette  heuristique « est aussi à l’origine de la corrélation illusoire qui consiste à surestimer la co-occurence de 2 événements.»

 

Heuristique d’ancrage-ajustement : l’estimation d’une quantité est influencée par la valeur de référence choisie (point de repère ou ancrage).  Mais elle biaise aussi l’estimation d’événements conjonctifs et disjonctifs. La probabilité de succès ou d’échec de projets en est faussée (exemples à la p. 62 de l’ouvrage).

 

Heuristique de représentativité : estimer la probabilité d’un objet selon sa représentativité ou sa prototypité dans sa catégorie. Cette erreur de jugement amène à violer une règle élémentaire de la théorie des probabilités qui stipule que la probabilité de la conjonction de 2 événements ne peut pas être supérieure à la probabilité de chacun des 2 événements. Par exemple  la question : « Quelle est la probabilité que Paul soit avocat ? » consiste à estimer ses chances d’appartenir à la catégorie des avocats, à partir d’une série d’indications sur sa personnalité. Si Paul est très représentatif de l’idée que l’on se fait de cette catégorie de profession, la probabilité qu’il soit avocat sera surestimée, quelles que soient les indications données. Elle est à l’origine de plusieurs biais cognitifs concernant la façon d’estimer les probabilités et la façon de comprendre le hasard. » (d’autres exemples aux p. 63 et 64 de l’ouvrage).

 

Ces heuristiques et biais montrent les déviations du jugement humain par rapport à des normes rationnelles qui sont ensuite expliquées par des raccourcis mentaux utilisés de façon routinière.

 

(Synthèse de ces travaux par Kahneman, Slovic et Tversky (1982) « Judgment under uncertainly heuristics and biases »)

 

Les biais cognitifs des travaux de Kahneman et Tversky

concernent les jugements en situation d’incertitude

 

Mais d’autres biais cognitifs ont été mis en évidence par d’autres travaux de la recherche en psychologie. Par exemple le biais de confirmation qui nous fait accorder plus de poids aux informations qui confirment nos propres croyances, le biais de confiance qui nous fait surestimer nos capacités (75 % à 90 % des conducteurs pensent être meilleurs que le conducteur moyen, Svenson 1981), etc.

 

Divers exemples concrets de jugements biaisés sont donnés par l’auteur : sur les paquets de cigarettes l’indication « 90 % des cancers du poumons sont provoqués par le tabac » pour dissuader les gens de fumer, joue sur le fait que la plupart des gens assimilent cette probabilité à celle d’avoir un cancer du poumon en étant fumeur. Or  cette probabilité est inférieure à 10 % en réalité. Mons de 10 % des fumeurs développent un cancer des poumons et c’est parmi ces 10 % que 90 % des cancers du poumon sont dus au tabac

 

 

Difficulté de prédire et illusion de validité prédictive

 

Plusieurs pages de cet ouvrage sont consacrés à la difficulté de prédire et à l’illusion de validité de scénarios prédictifs pourtant cohérents et à la sous-estimation du hasard.

Dans tous les domaines le hasard intervient et ajoute son grain de sel aux compétences et expériences des individus.

 

Discours de l’écrivain Michaël Lewis aux nouveaux diplômés de Princeton en juin 2012 :

« Ce qui nous arrive dans la vie, même si ce n’est pas complètement aléatoire, est largement influencé par le hasard. Par dessus tout, vous devez reconnaître que si vous avez eu du succès, vous avez également eu de la chance. Et cela vous donne un devoir. Vous avez une dette, pas seulement envers votre dieu, vous avez une dette envers ceux qui n’ont pas la même chance.»

 

2 - L’homo œconomicus caractérisé par des « choix maximisant un seul critère (l’utilité) grâce à une rationalité parfaite » en fait n’existe pas pour Kahneman et Tversky. Même dans ce domaine leurs résultats de recherche sont incompatibles avec l’hypothèse de rationalité parfaite, déjà contestée dès les années 1950 par Herbert Simon. Mais ils ont montré que les modèles économiques peuvent être améliorés par les connaissances psychologiques avec description de plusieurs exemples concrets.

 

 

3 - La structuration de l’information : des expérimentations montrent l’influence de facteurs supposés non pertinents sur les décisions prises par les individus : par exemple  les effets d’ordre dans lesquels les choses sont présentées, les effets de cadrage sur la façon dont un problème est présenté, etc. 

 

Cela est valable aussi bien pour des décisions économiques que pour des décisions de la vie courante et cela joue d’autant plus pour les décisions dans les situations de risque où normalement c’est l’utilité espérée qui devrait indiquer la façon rationnelle de prendre des décisions. Mais cette théorie  de l’utilité espérée implique des calculs que la plupart des individus ne font pas.

 

Kahneman et Tversky proposent des modèles plus réalistes dans leur « théorie des perspectives » (2002)

 

En fait ces chercheurs se sont aperçu que la crainte de la perte est supérieure à l’attrait du gain pour la plupart des individus et que le négatif a plus d’impact psychologique que le positif.

Malgré l’image négative des heuristiques dans la prise de décision, l’auteur mentionne de nombreuses situations où elles prennent leur revanche et sont plus performantes en produisant des décisions rapides et appropriées au contexte.

 

Les travaux de Kahneman et Tversky ont porté surtout sur les situations où l’esprit humain n’est pas à l’aise soit parce que l’environnement  est trop complexe, soit par manque de données ou  d’information.

 

L’image partiale des heuristiques doit donc être relativisée : « ni bonnes ni mauvaises en soi, tout dépend de l’environnement dans lequel elles sont utilisées.» L’auteur précise même que souvent « nos erreurs de décision révèlent moins de biais cognitifs que du décalage entre nos propriétés cognitives et celles de l’environnement moderne dans lequel nous évoluons. »

Nous devons être conscientes de notre rationalité limitée dans un monde moderne dont la complexité s’accroît de plus en plus rapidement.

 

Les algorithmes peuvent-ils conduire à des décisions meilleures ?

 

Une tendance actuelle est de croire que les algorithmes vont produire de meilleures décisions que l’esprit humain en traitant l’information, en analysant des indices de façon plus efficace.

Mais les recherches montrent ici encore que tout dépend des situations : dans certains contextes les algorithmes sont un peu plus performants mais dans d’autres situations ce sont les jugements humains qui leur sont supérieurs.

 

Ces recherches qui devraient être utilisées pour l’accroissement du bien-être des humains par des choix meilleurs sont malheureusement plus souvent utilisées pour nous manipuler.

Marchands et pouvoirs publics n’utilisent pas toujours ces connaissances pour nous dissuader des mauvais choix mais ont tendance à les exploiter dans leurs intérêts propres par des incitations à agir dans un sens qui n’est pas souvent en faveur du public. Plusieurs types de manipulation, plus ou moins douces, sont décrit à travers des exemples concrets.

 

En conclusion

 

L’auteur avertit que « la mode de l’irrationnel comporte un défaut majeur : elle véhicule l’idée que l’être humain est une liste de biais cognitifs. Cette représentation est à la fois partiale et partielle. Partiale car elle se concentre sur les cas où le cerveau échoue sans consulter ceux où il réussit. Or le cerveau humain réussit plus qu’il n’échoue, sans quoi nous ne serions plus là aujourd’hui. Partielle car elle considère l’individu isolé et néglige l’environnement... L’irrationalité peut être une conséquence de l’environnement (...une réponse aux incitations)... »

 

L’auteur  prend l’exemple du vote pour lequel l’électeur n’est pas incité à s’informer et qui vote souvent de façon passionnelle ou irrationnelle car son propre vote pèse peu et cela ne lui donne pas d’intérêt à voter de façon raisonnée.

 

Mais il nous faut tenir compte tout de même de ces recherches dans un monde qui « se complexifie de façon rapide et imprévisible» alors que «nos propriétés physiques et cognitives n’évoluent plus», du moins aussi rapidement que notre environnement.

 

« Notre rationalité limitée nous pousse à développer et entretenir des croyances erronées » phénomène décuplé maintenant par les réseaux sociaux et « la polarisation des opinions par...un communautarisme idéologique.»

 

Dans ces conditions actuelles il nous faut d’autant plus prendre conscience que « croyances partagées n’équivaut pas à vérité » : « l’intersubjectif et l’objectif n’ont pas le même statut épistémique. »

 

Accepter  la polarisation des opinions et la crédulité collective préserve la liberté d’expression mais celles-ci « obscurcissent la vérité. »

 

L’éducation des citoyens consisterait à les « encourager à tempérer leurs opinion et à développer leur esprit critique.»

 

Le mot de la fin :

« Dans un monde en mutation complexe et incertain, éduquer les citoyens dès leur plus jeune âge à se prémunir contre les conséquences de leur rationalité limitée est une démarche cruciale pour une société éclairée et responsable»

 


  

Pour en savoir plus sur « l’erreur est humaine » de Vincent Berthet

 


I. Quatrième de couverture

 

Cela est contre-intuitif, mais souvent nous ne pensons et n'agissons pas de façon rationnelle. Par exemple, après les attaques du World Trade Center, beaucoup d'entre nous ont eu peur de prendre l'avion et ont privilégié les déplacements en voiture lorsqu'ils étaient possibles. Pourtant la probabilité de mourir en avion est très inférieure à celle de mourir en voiture.
Pourquoi avons-nous tendance à accorder plus de poids aux informations qui confirment nos croyances qu'à celles qui les infirment ?
Pourquoi les narrations construites par notre cerveau peuvent être parfaitement cohérentes et néanmoins totalement erronées ? Bref, pourquoi sommes-nous biaisés ? Comprendre et savoir remédier aux biais cognitifs est fondamental car leurs conséquences tant au niveau individuel qu'au niveau collectif sont loin d'être anodines.
Maniement des probabilités, compréhension du hasard, prise de décision : dans chacun de ces domaines, l'influence des biais cognitifs est majeure. En s'appuyant sur de nombreux exemples de notre quotidien et dans un style très vivant, Vincent Berthet met en lumière notre rationalité limitée. Et montre comment certains acteurs en tirent parfois profit.
Une plongée au cœur de notre irrationalité.

 

II – Une critique de l’ouvrage tirée de Babelio

 

L'erreur est humaine n'est pas un roman. C'est un ouvrage scientifique.
Il est en grande partie fondé sur les travaux des psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky. 

Le plus souvent cité, Daniel Kahneman a obtenu le prix Nobel d'économie en 2002. Il est à l'origine du développement d'une nouvelle branche de l'économie, appelée économie comportementale, non plus  fondée sur un modèle théorique d'homme parfait et rationnel, mais sur l'analyse du comportement des hommes réels.

On se trouve à l'interface de l'économie et de la psychologie, et c'est passionnant.
Depuis toujours, ou presque, les hommes se pensent rationnels. Aristote ne voyait-il pas en l'homme un animal doué de raison ?
L'homo oeconomicus, cette représentation théorique du comportement humain a longtemps été à la base des modèles économiques.
L'homo oeconomicus a un objectif : la maximisation de ce que les économistes appellent son "utilité", celle-ci mesurant la satisfaction obtenue par la consommation ou l'obtention de biens et de services. Il sait parfaitement analyser les situations de choix auxquelles il est confronté et prend donc ses décisions en toute rationalité. Ainsi, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
En fait, pas vraiment.


Dans les années 1970, Daniel Kahneman et Amos Tversky ont été les premiers à faire voler en éclat les certitudes admises jusque-là, et ils ont prouvé expérimentalement les limites de la rationalité humaine.
Ils ont mis en évidence l'existence de "biais cognitifs" qui faussent nos jugements et influencent nos décisions à notre insu.
À travers de nombreux exemples tirés de leurs travaux ainsi que de ceux d'autres chercheurs, Vincent Berthet nous fait prendre conscience de notre irrationalité, qui dans de nombreuses circonstances affecte notre perception de la réalité et nous fait faire de mauvais choix.


Ce livre est publié aux éditions du CNRS, ce qui est un gage de sérieux, mais aussi d'un certain niveau scientifique : il faut avoir un bagage mathématique minimum pour profiter de son contenu, particulièrement dans le domaine des probabilités et précisément des probabilités conditionnelles.
En clair, si vous ne connaissez rien aux probabilités conditionnelles, cet ouvrage risque malheureusement de vous être inaccessible. L'auteur alterne discours général (quelquefois pas toujours limpide, c'est le seul petit reproche que je ferais) et exemples très éclairants.
On comprend de plus en plus au fil de la lecture où sont les limites de notre rationalité et comment certains peuvent profiter des failles dans le fonctionnement de notre cerveau, avec des intentions plus ou moins bonnes.

L'homme réel, bien éloigné de l'homo oeconomicus théorique peut se faire berner, manipuler, flouer, influencer, avec une facilité que vous ne soupçonnez pas, dans des situations auxquelles vous n'auriez pas pensé, et à un point que vous n'auriez jamais imaginé. Les publicitaires et les politiciens, pour ne citer qu'eux, l'ont compris depuis longtemps et savent fort bien tirer partie de cette faiblesse.


Vous vous croyez à l'abri ?
Détrompez-vous, vous ne l'êtes pas.
Personne ne l'est.

J'ai une solide formation mathématique et j'ai toujours travaillé dans ce domaine (enseignement en classes préparatoires, formation d'enseignants d'école élémentaire, rédaction de manuels scolaires) : je ne me pensais pas a priori concernée par la manipulation à travers "les chiffres" et la façon de les présenter.
C'était avant que je ne lise cet ouvrage.


L'erreur est humaine est une lecture passionnante, mais également dérangeante. Le genre de lecture qui bouscule nos certitudes. Ni tout blanc ni tout noir : si nous ne sommes pas entièrement rationnels, nous ne sommes (heureusement !) pas totalement irrationnels : voilà l'idée fondatrice du concept de "rationalité limitée", et ce sont ces limites que Vincent Berthet met en évidence.


Laissez-vous embarquer dans un voyage passionnant, aux frontières de votre propre rationalité. L'auteur vous a balisé un parcours riche de nombreuses références scientifiques. et vous apprendrez à mieux connaître ce qui se passe dans votre cerveau.

(auteur : Nastie92

https://nnmaths.wordpress.com/category/lectures-mathematiques/)

 

III – Sommaire et citations

 

Introduction

« Aristote voyait l’homme comme un animal doué de raison. La question de la rationalité des individus est au cœur des sciences sociales. » (p. 11)

 

Chapitre 1

De la rationalité parfaite à la rationalité limitée

« Les sciences sociales incorporent toutes une certaine représentation des individus. » (p. 17)

 

La théorie du choix rationnel

« L’étude scientifique d’un phénomène peut se faire à différents niveaux d’analyse. Le niveau choisi conditionne le type de questionnement posé et le type de modèle développé. » (p. 17)

 

La notion de rationalité limitée

« Par exemple, lorsque l’on veut acheter un nouveau manteau en ville, on ne faitpas le tour des magasins de la ville afin de déterminer le choix optimal. On va dans un ou deux magasins que l’on connaît, on essaie quelques modèles, et si l’un d’entre eux est suffisamment bon, on l’achète. Dans cette perspective ( …), la rationalité ne caractérise pas le résultat du choix (…), mais le processus de décision sous-jacent au choix. » (p. 27)

 

 

Chapitre 2

Un aperçu général de la cognition

« (…) il est utile de passer en revue deux aspects essentiels de la cognition humaine : son architecture et son inclination narrative. » (p. 31)

 

L’architecture cognitive

« De nombreuses recherches ont montré que (les) représentations inconscientes peuvent influencer le comportement. » (p. 33)

 

Notre cerveau est un storyteller

« Notre système cognitif est gouverné par un principe général : construire une représentation cohérente de notre environnement. » (p. 55)

 

 

Chapitre 3

La rationalité limitée dévoilée

« La science ne se contente pas de produire des concepts, elle procède à une investigation empirique pour tester et réviser ces concepts. » (p. 45)

 

Heuristique et biais cognitifs

« La plupart du temps, les heuristiques produisent des décisions et des jugements appropriés. Mais parfois, elles produisent des erreurs substantielles. » (p. 58)

 

Probablement

« Les informations sous forme de probabilités sont omniprésentes et pourtant la compréhension que nous en avons est limitée. » (p. 67)

 

Bernés par le hasard

« Les experts sont largement victimes du biais de rétrospection. Il y a une différence fondamentale entre prédire quelque chose et rendre compte de quelque chose. Juste avant le référendum sur le Traité établissant une constitution pour l'Europe en mais 2005, les analystes étaient bien en peine de prédire l'issue du vote. Une fois le résultat connu, beaucoup d'entre eux étaient sur les plateaux télévisés pour expliquer que la victoire du "non" était évidente. Car l'esprit humain, avec sa facilité à produire des narratives, est toujours en mesure d'expliquer a posteriori ce qui s'est passé. »  (p. 92)

 

 

Chapitre 4

Homo œconomicus vs Homo sapiens

« Nous allons voir que le comportement économique des individus est bien mieux compris quand on les considère comme des Homo sapiens plutôt que comme des Homo œconomicus. » (p. 104)

 

Les facteurs supposés non pertinents

« Un agent parfaitement rationnel prend ses décisions sur la base de l’information pertinente disponible qu’il exploite de façon à maximiser son utilité. Tous les autres éléments de l’environnement sont ce que Richard Thaler appelle des facteurs supposés non pertinents, c’est-à-dire des facteurs qui ne devraient pas influencer les décisions prises. » (p. 104)

 

La décision en situation de risque revisitée

« Imaginez que l’on vous propose ce pile-pi-face : pile vous gagnez 200 €, face vous perdez 100 €. Acceptez-vous de jouer ? Il s’agit d’une décision à situation de risque : les alternatives  (la pièce tombe sur pile ou sur face) et leurs probabilités respectives (une chance sur deux)) sont connues. » (p. 107)

 

Anomalies économiques et explications comportementales

« Imaginons la situation suivante. Vous avez prévu d’aller voir un film au cinéma. Le prix du ticket est de 10 €. Vous avez acheté le ticket en ligne. Au moment d’entrer ndans le cinéma, vous vous apercevez que vous perdu. Etes-vous prêt à dépenser 10 € pour un autre ticket ? » (p. 124)

 

 

Chapitre 5

La revanche des heuristiques

« (…) une approche ‘écologique’, prenant en compte l’environnement, permet de réhabiliter la valeur des heuristiques comme mode de décision. » (p. 138)

 

La critique évolutionniste des biais cognitifs

« Selon la psychologie évolutionniste, l’esprit humain est, à l’instar du corps, le produit de l’évolution biologique. ». » (p. 138)

 

Moins c’est mieux

« Les heuristiques sont des outils de résolution de problèmes alternatifs à des méthodes plus complexes. » (p. 67)

 

 

Chapitre 6

La rationalité limitée dans un monde moderne

« Le vrai problème de l’humanité est le suivant : nous avons des émotions paléolithiques, des institutions médiévales et une technologie divine. » (Howard Osborne cité en p. 157)

 

Les algorithmes remplaceront-ils les humains ?

« Une conséquence générale des limitations cognitives humaines est que des formules ou des algorithmes sont capables de produire de meilleures décisions que le jugement humain. ». » (p. 158)

 

Rationalité limitée et pouvoirs publics

« La rationalité limitée est un phénomène dont la réalité est scientifiquement établie. » » (p. 178)

 

 

Conclusion

« Prenons le comportement de vote. D'un côté, la très large majorité des électeurs votent en ayant une information imparfaite sur les questions politiques, économiques, sociales, internationales, etc. Comme le coût de s'informer sur ces sujets est démesuré par rapport au bénéfice qu'il peut en tirer (un vote individuel ne pesant quasiment pas sur le résultat final), l'électeur n'est pas incité à s'informer : il est "rationnellement mal informé". D'un autre côté, la plupart des électeurs votent de façon passionnelle plutôt que raisonnée. Voter de façon passionnelle, ou irrationnelle, consiste à fonder son choix sur des considérations idéologiques plutôt que sur une analyse objective de la situation. [...] Cet exemple montre qu'un comportement irrationnel n'est pas nécessairement une propriété intrinsèque de l'individu mais une réponse rationnelle à un environnement donné. » (p. 199)

 

Bibliographie

 

Remerciements




[1] Cf. dans ce même blog : 97. La débat interdit : Covid et totalitarisme - A. Bilheran et Vincent Pavan

[2] Vincent Berthet est maître de conférences à l’université de Lorraine et chercheur associé au Centre d’Economie de la Sorbonne. Docteur en sciences cognitives et diplômé en science politique de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il est responsable du pôle « Stratégies d’influence » dans le think tank Global Variations

 

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