05 avril 2021

48.'De la démocratie en pandémie' - Barbara Stiegler

 

« De la Démocratie en Pandémie »

 


Par Barbara STIEGLER

 

Tracts Gallimard N° 23

 

 

 

Avant-lire

 

De passage à la FNAC de Capvern (65), un titre a attiré mon attention, celui du N°23 de la collection Tracts Galimard[1] : « De la Democratie en Pandémie ». L’auteur, Barbara Stiegler[2], y cite Richard Horton[3] rédacteur en chef de la revue The Lancet[4] et y développe son analyse de la situation politique actuelle. Elle y parle aussi de santé, de recherche et d’éducation.

 

Le titre « De la Démocratie en Pandémie », est particulièrement bien choisi car depuis plus d’un an nous ne sommes plus en démocratie et nous entendons si peu de voix d’homme politique, de parti, de député ou sénateur pour s’en inquiéter.

 


Barbara Stiegler est pat ailleurs, à ma connaissance, la première personne à faire remarquer qu’en pleine urgence sanitaire décrétée, le gouvernement appelle à d’immenses rassemblement suite à la décapitation de l’enseignant de Conflans-Ste-Honorine[5] : 10.000 personnes peuvent alors s’amasser pour rendre un hommage (par ailleurs sans doute nécessaire et utile) mais, en revanche, nous n’avons pas le droit de nous rassembler à plus de 6 sous prétexte de virus. C’est un virus malin qui sait reconnaître les causes de rassemblement autorisées ou non par le gouvernement.

 

En plus des prophètes à la « Bill Gates » qui prédit les pandémies depuis des années, nous avons aussi un Macron qui « murmure à l’oreille des virus ».

 

Un virus inédit ‘nous a tuer’ la démocratie mais a révélé les nouveaux grands prêtres, maîtres de cérémonies mortuaires et guides de foules atterrées, non pas avec une flûte, comme dans le conte du ‘Joueur de flûte de Hamelin’, mais avec les rengaines de sirènes, téléportées, comme dans l’Iliade et l’Odyssée. Nous vivons vraiment une époque formidable !

 

 

«Plongés dans ce continent mental de la pandémie, qui entrave la critique et qui tue le réveil des aspirations démocratiques, nos esprits sont comme occupés

 

Voici quelques points essentiels relevés dans ce tract :

 

►«Covid-19 is not a pandemic» : « Ceci n’est pas une pandémie », et ce n’est pas un « rassuriste» qui le dit mais le rédacteur en chef de l’une des plus prestigieuses revues internationales de médecine, Richard Horton, dans The Lancet, vol. 396, 10255, p.874, septembre 2020.

 

Les inégalités sociales et la crise écologique qui augmentent les maladies chroniques, auxquels s’ajoute le démantèlement des systèmes de santé, nous amènent plutôt à une «syndémie» selon R.Horton. The Lancet cible l’ultralibéralisme : « Si nous ne changeons pas de modèle économique, social et politique, si nous continuons à traiter le virus comme un événement biologique dont il faudrait se borner à bloquer la circulation, les accidents sanitaires ne vont pas cesser de se multiplier

 

The Lancet invalide la stratégie de « blocage » visant la population par une politique répressive inédite, tout en continuant à désarmer le système sanitaire et à abandonner les déserts médicaux ruraux et urbains dans lesquels se concentrent les populations qui affluent aux urgences.

 

La fragilisation par les atteintes à l’environnement, l’industrialisation des élevages, l’accélération des échanges mondiaux et la dégradation de la santé des populations des pays industrialisés produit toutes les conditions pour que des « maladies émergentes » d’origine animale se reproduisent régulièrement.

 

Les gouvernants ont fait le choix de réprimer et d’ignorer délibérément les causes environnementales, la prévention et l’éducation, avec le soutien trouble d’experts, de conseillers scientifiques appointés par des laboratoires pharmaceutiques.

 

Au lieu de favoriser la libre circulation du savoir,  les gouvernants ont édifié un monde binaire, simpliste, opposant des « populistes » ou « complotistes », accusés de nier les virus ; et les « progressistes » du « quoi qu’il en coûte » de la vie et de la santé. Les nuances et les critiques des mesures prises sont interdites et avec l’extinction de la discussion critique se sont éteintes les voix plurielles du monde savant.

 

Ce virus ne peut avoir de conséquences graves que sur des organismes déjà très affaiblis, dans l’immense majorité des cas, et n’est pas un mal qui frapperait tout le monde partout et n’importe quand.

 

The Lancet précise encore : « La ‘science’ qui a guidé les gouvernements a été conduite par des modélisateurs et des spécialistes de maladies infectieuses qui ont envisagé l’urgence sanitaire dans les termes séculaires de la peste

 

Cette épidémie a pris un tour extraordinaire moins par le virus que par les circonstances sociales et politiques et en particulier par les confinements qui ont aggravé les inégalités sociales,  par le délabrement du système de santé et l’abandon d’une grande partie des patients.

 

The Lancet souligne, en fait, le sous-développement de presque tous les systèmes de santé dans des pays économiquement développés. L’innovation s’est imposée au détriment des soins de base, indispensables mais méprisés par les gestionnaires des hôpitaux.

 

► «Au lieu d’enfermer l’ensemble de la population... une politique  (d’investissement dans un système sanitaire et social) aurait permis de soutenir  plus que jamais toutes les activités vitales de la population : travail, éducation, recherche, culture, vie sociale et politique en général sans laquelle toute organisation sociale ne peut que s’autodétruire à plus ou moins long terme

 

Maintenant, à l’opposé de ce qui aurait été salutaire, « le consentement éclairé du patient, hérité du Code de Nuremberg, le respect de l’autonomie et la construction d’une démocratie sanitaire, conquises grâce à la crise du VIH, apparaissent brutalement obsolètes et hors de propos... pendant ce régime d’exception» dont on ne sait pas quand il va s’arrêter et dans lequel il n’est pas permis ‘d’oser savoir’» (Kant), « c’est-à-dire de faire valoir l’autonomie de notre raison face à toute règle.»

 

La démocratie elle-même est mise en accusation : « La démocratie est un inconvénient » déclare, sur une radio publique,  le président de la Ligue contre le cancer, approuvé par le journaliste du service public.

 

«...en Pandémie, la démocratie est désormais disqualifiée comme une survivance dangereuse à laquelle il faudrait renoncer. Devant ce qu’ils appellent ‘explosion des contaminations’, et qu’ils devraient appeler ‘augmentation normale et prévisibles des porteurs sains’ (inévitable où circule un virus), nous n’aurions plus le temps de débattre ni de délibérer…. Le droit de contester...et de s’interroger...le droit d’aller et venir à sa guise..., celui de manifester son opinion dans la rue, tous les droits imprescriptibles sont désormais devenus des ‘inconvénients’, à la limite de la légalité et  se trouvent suspendus.  Sauf si c’est pour soutenir une cause adoubée par le pouvoir. Alors que l’état d’urgence vient d’être à nouveau décrétée... le gouvernement, dès le lendemain, suite à la décapitation d’un enseignant...appelle à ...manifester en masse contre le ‘séparatisme islamiste’ aux côtés des membres du gouvernement...» tous exemptés de gestes barrières et de distanciation…

 

Ce qui est interdit contre les réformes du gouvernement au nom du virus devient permis quand c’est le pouvoir exécutif qui décide des rassemblements.

 

«Alors surgit un soupçon : croient-ils vraiment eux-mêmes à l’infaillibilité de la doctrine qu’ils exposent sans relâche ex cathedra sur les plateaux télé ? Si l’on peut s’amasser à 10.000 sur les places publiques, pourquoi n’a-t-on pas le droit de s’asseoir à plus de 6 dans les parcs ? Quel est le statut juridique de cette exception au régime d’exception ? Et comment l’émotion collective peut-elle si facilement balayer la cohérence de notre Etat de droit ? »

 

« Ce monde de la Pandémie, où le pouvoir élimine la démocratie en soumettant la ‘science’ à son propre agenda...» c’est déjà le ‘monde d’après’, « un monde désinfecté mais pollué, c’est le monde d’avant mais en pire... En plus eugénique. Exsangue... Une humanité... silencieuse, censurée d’émotions, centrée sur l’amnésie du leader. Son dogme... Elevée dans la haine de la dissonance. Et l‘amour de la Javel» (A. Labruffe, Un hiver à Wuhan)

 

►La conviction qui anime B.Stiegler dans cet article Tract Gallimard 23 et ses exhortations :  « plutôt que de se taire par peur d’ajouter à la confusion, le devoir des milieux universitaires et académiques est de rendre à nouveau possible la discussion scientifique et de la publier dans l’espace publique, seule voie pour retisser un lien de confiance entre le savoir et les citoyens , lui-même indispensable à la survie de nos démocraties. Le sort de la démocratie dépendra largement des forces de résistance du monde savant et de sa capacité à se faire entendre dans les débats politiques cruciaux ...dans les mois et les années qui viennent, autour de la santé et de l’avenir du vivant. »

 

« Il nous reste 2 armes : la diffusion de l’éducation et le rappel du droit, celles qui furent, justement, les bras armés de notre République. »

 

►Il faut « briser la loi du silence qui s’est imposée dans nos milieux et dans les médias ».

Il faut « réinventer... le sens de la grève, de la manifestation et de la mobilisation générale en les libérant des limitations sectorielles et à courte vue dans lesquelles ils se sont trop souvent enfermés. »

 

Il faut déboulonner cette « gérontocratie au pouvoir », « ce gouvernement sclérosé, engoncé dans ses vieilles manières de penser. »

 

► «Nous pouvons ...tenter de nous unir... pour constituer des réseaux de résistance capables de réinventer la mobilisation, la grève et le sabotage, en même temps que le forum, l’amphithéâtre et l’agora. En s’y mettant à plusieurs, ici et maintenant, en ouvrant en grand nos institutions à tous les citoyens qui, comme nous, sont convaincus que le savoir ne se capitalise pas, mais qu’il s’élabore ensemble et dans la confrontation conflictuelle des points de vue. »

 

Ainsi « nous pourrions contribuer à faire de cette ‘pandémie‘ et aussi de la santé et de l’avenir de la vie, non pas ce qui suspend, mais ce qui appelle la démocratie. »

 

Barbara Stiegler, le 14 Décembre 2020

Professeur de philosophie politique à l’Université Bordeaux Montaigne

 

 

 

 



[1] Le premier titre de cette collection commenté se trouve dans le blog, 'Pandémie et psychose collective' (article n° 1 du blog) :  (« Quand la psychose fait dérailler le monde par Renaud Girard et Jean-Loup Bonnamy », Tracts n° 21,   Un tract particulièrement percutant.

[2] Barbara Stiegler, philosophe, est né en 1971 ; elle est professeur de philosophie à l’université Bordeaux-Montaigne et travaille en collaboration avec les milieux de la santé ; elle est membre du Collège universitaire de France. (Wikipédia)

[3] Richard Horton, rédacteur en chef du « Lancet » : « Le Covid-19 montre une faillite catastrophique des gouvernements occidentaux ». Dans un livre publié au Royaume-Uni, le rédacteur en chef de la revue médicale dénonce l’impéritie de nombreux pays face à la menace pourtant annoncée de la pandémie. Il revient sur la rétractation récente d’une étude publiée dans ses colonnes. (d'après Le Monde)

[4] The Lancet est une revue scientifique médicale hebdomadaire britannique propriété du groupe d’édition scientifique Elsevier. The Lancet a été créé en 1823. Le 22 mai 2020, dans le contexte de la pandémie du COVID-19, des chercheurs publient dans la revue une fausse étude intitulée : « Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of COVID-19: a multinational registry analysis », condamnant l’utilisation de ce traitement défendu par le Pr. Raoult. Cette publication a été corrigée, mais, très curieusement,  le traitement à l’hydroxychloroquine, comme d’autres, a été interdit.   (d’après Wikipédia)

[5] Appelé l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, un enseignant (M. Samuel Paty) qui avait montré les caricatures de Mahomet dans sa classe d’Histoire a été décapité le 16 octobre 2021.

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