16 février 2023

149. De Kant à Goethe - Une théorie de la connaissanc chez Rudolf Steiner

 

A propos de

VÉRITÉ ET SCIENCE

 Prologue à une philosophie de la liberté

de Rudolf Steiner

 


aux Editions Anthroposophiques Romandes, édition 1982

 

Je cite : « La philosophie contemporaine est victime d’un préjugé kantien malsain. Notre livre a pour but de contribuer à vaincre ce préjugé. Il serait blasphématoire de ne pas reconnaître les mérites impérissables de Kant en ce qui concerne l’évolution de la pensée scientifique allemande. Nous devons toutefois comprendre que c’est seulement si nous nous plaçons résolument en opposition avec ce philosophe que nous pourrons poser les fondements d’une conception vraiment satisfaisante du monde et de la vie. »

(R. Steiner, Vérité et science, préface, EAR, 1982)

 

 

Avant-lire

Devant la moderne fascination pour l’IA (« intelligence » artificielle) et l’utilisation de plus en plus fréquente des algorithmes pour résoudre des problèmes ou planifier divers domaines de gestion de notre société, il me semble indispensable de se poser des questions face à ce phénomène.

 

Est-ce que les calculs et les recoupements d’information de l’ordinateur suffisent à faire progresser les connaissances ? Est-ce que des robots peuvent réfléchir et progresser dans l’acquisition de réelles connaissances capables de faire évoluer notre culture, notre civilisation ? Que va devenir une civilisation dirigée par des calculs sans âme, sans volonté et sans esprit humains ?

 

D’abord il me semble utile de revenir à la base, qu’est-ce qu’une connaissance, quel est son rapport au monde et son apport à l’évolution de l’humanité ? Dans un premier temps je vous propose la théorie de la connaissance de Rudolf Steiner telle qu’il l’exprime dans « Vérité et Science » qui est aussi son prologue à sa Philosophie de la liberté.

 

S o m m a i r e

Pourquoi une théorie de la connaissance[1] ?

Qu’est-ce qui pose un problème dans la théorie de Kant ?

Une théorie de la connaissance doit être une étude scientifique libre de tout à priori

Illusion des sens et erreur

La frontière entre le donné et le connu

L’observation ne permet pas de comprendre l’essence des choses

La pensée, point de départ de la connaissance

Le concept de causalité

Les différentes étapes du processus de connaissance ne sont pas toujours conscientes

L’observation est une phase indispensable mais non suffisante

Nature de la preuve

La Nature de l’erreur

La pensée organise, synthétise, mais n’ajoute rien au contenu du monde

La pensée, une activité formelle dans l’image scientifique

La pensée recherche ce qui découle de la relation

L’esprit humain a besoin de la connaissance

Ce qui Subjectif et ce qui est Objectif

Le moi et l’égo

Évènements et conception du monde

 

 


 

 

 


Les premiers écrits publiés de R. Steiner sont une introduction aux écrits scientifiques de Gœthe[2] conservés aux archives de Weimar. Son professeur de littérature allemande à Polytechniques de Vienne, quand il a 22 ans, le recommande à l’écrivain chargé d’une  « Histoire de la Littérature allemande ». R. Steiner en écrit une préface et des commentaires aux écrits scientifiques de Goethe. En 1886 il écrit ce qui sera plus tard publié sous le titre de  « Une théorie de la Connaissance chez Goethe ». Pendant la période entre 1884 et 1890 il est aussi précepteur de 4 enfants. Puis en 1891 il écrit sa thèse de doctorat qui sera publiée ultérieurement sous le titre « Vérité et Science », l’ouvrage que je me propose de résumer.

 

Cet ouvrage étant une thèse ; une bibliographie de 89 ouvrages de philosophes divers est citée en introduction[3].

 

Ensuite R. Steiner sera journaliste, rédacteur d’une revue, puis conférencier dans toute l’Europe jusqu’en 1924. Il a écrit une vingtaines d’ouvrages et donné des milliers de conférences rassemblées à partir de notes et sténographes d’auditeurs, pas toujours revues par lui.

 

 

Pourquoi une théorie de la connaissance[4] ?

 

R. Steiner éprouve le besoin de fonder une théorie de la connaissance parce qu’il n’est pas satisfait de celles de ses prédécesseurs et en particulier de celle de Kant. Bien qu’il reconnaissance le grand apport de Kant[5] à la pensée philosophique allemande il lui reproche ses a priori, il conteste sa théorie de la connaissance établie à partir de présuppositions et qui va être à la base des limites de la connaissance établies au 19e siècle. Et elle ne va pas influencer seulement le courant philosophique mais aussi la pensée scientifique majoritaire des 19e et 20e siècle.

 

Encore actuellement, début du 21e, une grande partie du milieu scientifique institutionnel ne considère comme vraiment scientifiques que les résultats quantifiés, estimant qu’il y a des domaines d’étude scientifiques et des domaines qui ne le sont pas, confondant par là méthode scientifique et méthodes de quantification. Cela est l’héritage de la théorie de la connaissance de Kant et de quelques successeurs influencés par lui.

 

 

Qu’est-ce qui pose un problème dans la théorie de Kant ?

 


Pour résumer l’essentiel de ce qui pose problème dans la thèse de Kant c’est son invention de la « chose en soi[6] » que Kant pose comme fondement des choses, qu’il situe  dans un domaine au-delà de notre monde sensible et rationnel et qu’il juge inaccessible à la faculté de connaissance humaine.

 

Cette chose en soi crée par Kant c’est en fait l’essence intime, le principe originel des choses, or les rechercher est une tendance inséparable de la nature humaine et c’est même la base de toutes activité scientifique.

 

C’est pour résoudre ce problème, cette contradiction que R. Steiner veut montrer ce que la connaissance est capable de faire et cela afin de lutter contre les préjugés scientifiques hérités du subjectivisme de Kant.

 

Une théorie de la connaissance doit être une étude scientifique…

 

Pour R. Steiner une théorie de la connaissance doit être une étude scientifique de ce que les autres sciences présupposent sans en avoir fait l’examen : la connaissance elle même. C’est cette seule étude du processus de connaissance qui peut nous apprendre quelle valeur et quelle signification peuvent avoir les affirmations des autres sciences, en fait la valeur de tout savoir.

 

Quel est le rapport entre des jugements portés grâce à la connaissance et la réalité ? Ou quel est le rapport entre le monde et le contenu des différentes sciences ?  Comment parvient-on à qualifier les éléments de notre image du monde ?  Comment situer si on a affaire par exemple à une perception ou un concept, à une cause ou un effet, à ce qui est objectif ou subjectif ?

C’est pour répondre à ce type de questions que l’on a besoin d’une théorie pour se faire une idée de la connaissance.

 

Mais pour remplir son rôle, une théorie de la connaissance doit, autant que possible, être libre de toute présupposition car une présupposition appartient déjà au domaine élaboré par le travail de connaissance. Et c’est la théorie qui doit d’abord déterminer le bien-fondé de toutes les connaissances. Pour être rigoureuse elle doit donc avoir un point de départ incontestable, absolu, inconditionnel, et éviter toute source d’erreur. Or l’erreur n’apparaît qu’avec la connaissance. C’est pourquoi R. Steiner exclut de ce point de départ tout élément appartenant à la connaissance, le situe juste avant l’acte de connaissance. Ce départ doit donc appartenir au donné[7], à l’image donnée du monde.

 

Illusion des sens et erreur

 

R. Steiner rappelle que l’illusion des sens n’est pas une erreur ; elle est fondée sur des phénomènes naturels. Par exemple c’est une réalité que la lune nous apparaisse plus grosse à son lever. Cela deviendrait une erreur si l’on croyait, si l’on jugeait que la lune est plus grosse à son lever.

 

Donc, pour fonder sa théorie, R. Steiner ne va utiliser aucun savoir particulier et va rechercher un point de départ, juste avant l’acte de connaître, point qui doit se situer dans un donné immédiat.

 

Il précise de quoi est constitué le donné immédiat : il est constitué de tout ce dont nous avons conscience. C’est-à-dire, les perceptions, les images de rêve, les sensations, les sentiments, les actes volontaires, les intuitions, les représentations, les concepts, les idées,... absolument tout ce qui entre dans notre champ de conscience et qui n’est pas déterminé conceptuellement. C’est tout cela que R. Steiner désigne « contenu de l’image donnée du monde ». Tout ce qui n’a pas fait l’objet d’un savoir particulier, d’une élaboration par un travail mental de connaissance.

 

La frontière entre le donné et le connu

 

Il ne définit pas l’image immédiate du monde, il attire seulement notre attention sur une frontière entre ce qui est donné et ce qui est connu. Cette séparation entre le donné immédiatement et le connu est artificielle dans la mesure où elle n’appartient pas au donné mais est créé par la conscience humaine qui a besoin de séparer d’abord les éléments du contenu de l’image du monde avant de pouvoir élaborer ce donné par un travail de connaissance. C’est une étape indispensable liée à notre organisation humaine.

 

Quel est l’élément du donné immédiat qui précède tout acte de connaissance, à partir duquel va s’amorcer le processus de connaissance ? Se demande R. Steiner.  Ou quel est l’intermédiaire entre l’image du monde donnée et l’image du monde élaborée par la connaissance ?

Voilà ce qu’il doit trouver comme point de départ à sa théorie de la connaissance et qui, comme toute théorie, fera le lien entre les phénomènes du processus de connaissance.

 

L’observation seule ne permet pas de comprendre l’essence des choses

 

Quand nous observons le donné dans une contemplation passive, la connaissance est impossible. Impossible de comprendre l’essence des choses ou les rapports entre les phénomènes par une pure observation. L’observation seule ne permet qu’une description des éléments du donné et n’atteint pas les principes originels cachés sous les apparences.

 

La plupart du temps on ne s’en rend pas compte car on a affaire à des choses déjà connues, parce que les éléments qui nous entourent au quotidien sont déjà déterminés conceptuellement et l’on court-circuite les étapes du processus de connaissance.

 

Pourtant il existe un point de départ et un seul qui appartient à un donné immédiat, avant toute connaissance, avant toute source d’erreur, et dont l’essence est non-donnée parce que produite par nous et donc pour lequel nous n’avons pas besoin de justification, pas besoin de preuve et qui permet l’amorce du processus de connaissance. Ce point de départ qui satisfait l’exigence de la rigueur pour une théorie, qui est appréhendée sans besoin de formuler un jugement de connaissance et qui est l’élément du donné immédiat indispensable pour que la connaissance apparaisse, c’est la pensée ! Il n’existe pas de connaissance qui ne soit pas pensée. Tout ce qui est connu provient de la pensée. La pensée est une production donnée dans une immédiateté totale, sans raisonnement pour l’appréhender, c’est-à-dire pour être saisie par l’esprit humain.

 

La pensée, point de départ de la connaissance

 

La pensée[8] est donc bien le point de départ recherché par R. Steiner, celui qui va amorcer un ordre dans le chaos des perceptions. Les outils de la pensée sont les concepts[9] et les idées. Mais ces outils ne sont pas un point de départ satisfaisant car il faut d’abord un travail mental de pensée pour les acquérir. La réflexion, la pensée précède l’acquisition des idées.  C’est bien  la pensée qui est l’activité première. R. Steiner qualifie d’intuition intellectuelle la forme sous laquelle sont donnés les concepts et les idées.

 

Le concept de causalité

 

R. Steiner cite comme exemple d’acquisition par intuition intellectuelle, le concept de causalité. Pour trouver dans le monde des causes particulières de phénomènes, il faut d’abord produire la notion de causalité comme forme conceptuelle. Les causes particulières ne peuvent être déterminées que parce que nous possédons dans notre conscience la forme conceptuelle de causalité sans détermination particulière.

 

C’est la faculté conceptuelle humaine qui établit les relations entre les éléments de l’image du monde. Relations qui n’appartiennent pas aux éléments mais qui sont produites dans la conscience par l’activité cognitive.

 

Les différentes étapes du processus de connaissance ne sont pas toujours conscientes

 

La plupart du temps nous ne prenons pas conscience des diverses étapes du processus de connaissance en particulier parce que celui qui pense oublie la pensée pendant qu’il l’exerce préoccupé qu’il est par la chose observée, par l’objet de la pensée. On ne peut observer sa propre pensée qu’après coup. R. Steiner écrit  dans un autre ouvrage «  Elle est l’élément inobservée de notre activité spirituelle courante ». Kant lui-même, pendant qu’il pensait sa théorie, a oublié le rôle qu’y jouait sa pensée.

Les phases principales sont la séparation des éléments à considérer et à comprendre, extraits de la totalité du monde,  ensuite l’observation suivie par l’activité pensante qui établit une ou des relations entre les éléments d’abord isolés, puis la détermination par la pensée qui résulte du rapport établi entre les éléments.

 

L’observation est une phase indispensable mais non suffisante

 

C’est la pensée avec ses outils qui permet d’aller au-delà de la description des apparences du donné. Dans un premier temps il y a le stade de l’analyse, puis ensuite le stade de la synthèse qui consiste à reconstituer l’unité qui avait été détruite par la conscience au départ.

 

L’acte de connaissance, c’est l’unification entre des éléments, la synthèse ente deux ou plusieurs éléments perçus, expérimentés, par la production de concepts ou d’idées dans un raisonnement qui obéit aux lois de la logique.

 

Nature de la preuve

 

L’appréhension du monde donnée au moyen de concepts est une saisie des choses par la pensée qui n’a pas besoin d’être prouvée. Une preuve présuppose la pensée, on ne peut pas prouver une preuve.

 

On ne peut connaître que par la pensée, activité de l’esprit humain et principe informant qui donne forme aux éléments chaotiques, sans ordre, donnés par les perceptions.

 

Les connaissances acquises par les humains  reposent sur le fait d’avoir établi une relation  juste entre des éléments de la réalité donnée et d’avoir saisi ce qui en résulte.

 

La Nature de l’erreur

 

Dans la vie et dans les sciences de nombreuses tentatives échouent. Mais de même que les erreurs de calcul ne remettent pas en cause l’existence et l’intérêt des mathématiques, les erreurs de raisonnement ne remettent pas en cause le rôle de la pensée dans la connaissance. Rôle qui vise à organiser systématiquement le contenu du monde.

 

La pensée organise, synthétise, mais n’ajoute rien au contenu du monde

 

L’appréhension du donné est une saisie par l’esprit humain grâce à la pensée. Une saisie et non une création. La pensée organise, synthétise, mais n’ajoute rien au contenu du monde, elle ne crée rien, elle se contente d’établir des relations entre des éléments, à tort ou à raison. Elle ne fait que crée les occasions par lesquelles les éléments vont pouvoir révéler leur essence cachée, leurs principes originels.

 

Elle est formelle, purement synthétique, et non créatrice du contenu des connaissances.

Ses outils, catégories, concepts, idées, ses règles de fonctionnement données par la logique, ne sont pas crées par les individus particuliers, ce sont des outils universels de l’esprit humain hors culture, hors civilisation et hors époques. Ce sont les représentations et l’expression de la pensée qui sont personnelles à chacun, pas les concepts, ni la logique.

 

 

La pensée, une activité formelle dans l’image scientifique

 

Dans l’image scientifique  du monde la pensée est donc une activité formelle dont le contenu n’est pas crée par la pensée, ce contenu ne peut pas exister, en effet, ni avant l’observation, ni avant l’appréhension conceptuelle du donné par la pensée. Le contenu de la connaissance résulte des observations ordonnées par la pensée.

 

Donc la certitude d’un jugement de connaissance n’est tirée que du donné perçu, observé, expérimenté puis ordonné et pas de la pensée seule. C’est l’adéquation du raisonnement au donné, la juste relation entre des éléments par la pensée qui conduit aux connaissances réelles.  Une loi naturelle, précise R. Steiner, est l’expression d’un rapport entre des éléments de l’image donnée du monde et ne peut pas exister sans les faits observés. Elle est découverte par l’observation et la pensée mais non inventée par la pensée.

 

La pensée recherche ce qui découle de la relation

 

La pensée n’affirme rien à priori sur le donné. Elle ne recherche que ce qui résulte de la relation entre des éléments.

 

R. Steiner envisage également les conditions d’apparition de la recherche de connaissance par les humains.

 

Si le donné immédiat contenait toute la réalité, si l’image du monde était complète, il n’y aurait pas de recherche de connaissance car nous n’aurions pas de question, pas besoin d’aller au-delà des apparences du donné.

 

Si l’élément conceptuel était uni dès le départ au donné pour la conscience humaine, il n’y aurait pas de besoin d’aller au-delà du donné, pas besoin de recherche de connaissance.

 

Si le contenu de l’image du monde était crée par la pensée,  il n’y aurait pas de recherche de connaissance pour quelque chose que nous produirions.

 

 

L’esprit humain a besoin de la connaissance

 

Pour que la connaissance apparaisse il faut donc un besoin de l’esprit humain, un donné non complet et une pensée non créatrice de tout.  La connaisse repose sur le fait que le contenu du monde est donné sous une forme incomplète et qu’il existe une partie non révélée immédiatement mais qui puisse être dévoilée par la connaissance. Connaissance qui produit la forme complète dans laquelle sont unifiés les aspects du donné.

 

C’est pourquoi, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, la description des choses par l’observation pure qui nous livre à nos impressions premières sans élaboration par la pensée, est la forme la plus subjective de la réalité donnée.

 

Ce qui Subjectif et ce qui est Objectif

 

Les outils utilisées par la pensée sont universels et c’est la pensée qui permet de déterminer  de ce qui est objectif ou subjectif ; elle est donc au-dessus de cette polarité et elle n’est ni objective, ni subjective.

 

L’image du monde immédiate est une expérience subjective, c’est la science ou la connaissance qui la complète et la sort de la subjectivité.

 

Encore actuellement de nombreux scientifiques croient que seule les observations sont objectives et que l’activité  pensante est personnelle et subjective, comme si nous étions, chacun,  créateur de nos concepts. Dans cette croyance il y a confusion entre représentation et concept. La représentation est personnelle et subjective, le concept est universel. Les concepts mathématiques, admis par tous comme universels, ne sont que des cas particuliers du concept en général.

 

R. Steiner élargit son propos et désigne l’instance en l’humain qui éprouve le besoin de compléter le donné immédiat, qui observe, qui réfléchit, analyse et synthétise les éléments du donné, qui relie le monde de la pensée au monde donné : c’est le Moi.

 

Le moi et l’égo

 

Pour R. Steiner le Moi n’est pas l’égo des contemporains, celui-ci n’est qu’un pâle reflet déformé du Moi, de l’entité spirituelle humaine incarnée sur terre. La pensée humaine pour R. Steiner n’est pas secrétée par un cerveau physique. L’entité humaine, le Moi, utilise le cerveau comme appareil réflecteur indispensable pour prendre conscience des choses. Mais c’est le Moi qui regarde le monde et qui est actif dans le processus de connaissance.

 

Au Moi est donné, écrit R. Steiner, la perception externe et interne en même temps que sa propre existence. C’est le Moi, point central de la conscience, qui réfléchit. Personne n’a besoin de preuve de son propre Moi, qui est aussi un donné immédiat. Mais il ne le prend pas comme point de départ du processus de la connaissance, car c’est par la pensée que l’on a conscience de soi. Bien que le Moi soit à l’origine de nos activités, la pensée reste le point de départ pour l’activité particulière qu’est la cognition.

 

Il fait aussi remarquer que le Moi réalise la connaissance par une libre décision. Il termine cette thèse en avertissant qu’il montrera ultérieurement que le processus de connaissance est un processus d’accession à la liberté. Cette autre démonstration sera dans son ouvrage : La Philosophie de la liberté, écrite quelques années plus tard.

 

Sa thèse, publiée sous le titre Vérité et Science est le prologue de sa  Philosophie de la liberté, et il termine sa théorie de la connaissance par sa conviction que «  le problème le plus important de la pensée humaine est de saisir l’homme comme personnalité libre fondée sur elle-même. »

 

Évènements et conception du monde

 

L’aperception, c’est-à-dire l’appréhension de l’activité pensante, restera centrale dans la philosophie de R. Steiner et il montrera plus tard dans son œuvre écrite comment il est possible avec beaucoup d’effort et une grande rigueur d’intensifier sa pensée et d’élargir sa conscience. Observer sa propre pensée est pour R. Steiner la première activité spirituelle, le début d’une démarche spirituelle.

 

R. Steiner de formation scientifique a toujours été adepte de la méthode scientifique mais pas de la philosophie matérialiste adoptée par le milieu scientifique institutionnel des 19 et 20 é siècle.

 

R. Steiner a donné des indications pour de multiples domaines d’activités humaines afin de conduire vers un réel progrès favorable à l’évolution humaine.

 

Tandis que le matérialisme du 19é ajouté aux préjugés Kantiens nous ont conduit à des progrès techniques mais aussi à une régression de la civilisation. Nous en vivons les conséquences ultimes dans les événements actuels, dans une société dirigée par des algorithmes, des calculs et des robots, des recherches scientifiques orientées par un transhumanisme conséquence d’une conception de l’homme considéré comme une machine dont on peut réparer ou changer les pièces, et dont on peut augmenter les performances par des pièces mécaniques. Être fasciné et croire à l’intelligence artificielle (l’IA), pour remplacer la pensée et la volonté humaines est un héritage indirect de Kant et des successeurs matérialistes de sa lignée.

 

 


 

 

Quelques précisions

Au moment de la présentation orale à un petit cercle d’auditeurs de cet article, certaines questions se sont élevées auxquelles il a été apporté ensuite et par écrit les précisions ci-dessus.

 

Rudolf Steiner décrit 4 niveaux de conscience (avec des termes qui ne correspondent pas à nos concepts et idées occidentaux actuels), quatre étapes de développement de la conscience que lui-même a pratiqué :

 

1 - la conscience ordinaire (ou intellectuelle). La pensée de la conscience ordinaire, la notre aujourd’hui, ne permet de connaître que les lois physiques du règne minéral et de ne connaître que le corps physique des êtres vivants (Du végétal à l’homme).

 

 

2 - la conscience imaginative ( ou Imagination) peut être développée à partir d’un travail méditatif de concentration sur des concepts, des idées ou des symboles. La pensée de la conscience imaginative permet d’accéder à la vraie connaissance du vivant, des lois de la vie dans les êtres vivants. On accède au monde éthérique (dans la terminologie de R. Steiner). A ce stade sa propre vie apparaît en un tableau spatial. (ça correspond à ce tableau rétrospectif qu’on vécu des gens qui était proche de la mort)

 

3 - la conscience inspirée (ou Inspiration) qui est l’étape suivant la conscience imaginative si on arrive à l’effort supplémentaire de vider complètement sa conscience de tout ce qui avait été acquis par la conscience imaginative. La pensée de ce niveau de conscience inspirée permet de connaître vraiment ce qui appartient au domaine de l’âme, du corps astral, commun aux animaux et aux hommes. On accède alors au domaine spirituel inférieur (devachan inférieur pour les orientaux)

 

4 - la conscience intuitive (ou Intuition), la dernière étape franchie par Steiner qui lui a permis d’accéder au monde spirituel supérieur, le domaine des plus hautes spirituelles. La pensée de ce niveau de conscience permet enfin connaître l’entité spirituelle de l’homme (le Moi) et son origine.

 

Le 1er niveau intellectuel est celui de notre époque que toute l’humanité doit développer ou devrait avoir développé. Mais il n’a pas toujours été développé dans les époques anciennes de l’Antiquité, les hommes n’en avait pas besoin parce qu’ils avaient une clairvoyance atavique, maintenant perdue pour l’humanité.

 

Les sages des grandes époques de civilisation antiques ( Inde ancienne, Perse, Egypte et Chaldée) avaient des connaissances spirituelles supérieures aux nôtres mais elles n’étaient pas obtenues par un travail personnel et libre, les hommes étaient « guidés » par des entités spirituelles. Leur sagesse était celle de dieux.

 

Notre 5é époque, post-atlantéenne, est celle de la liberté que l’homme doit conquérir c’est pourquoi il n’est plus guidé par la sagesse des dieux.Les humains doivent redécouvrir par eux-mêmes les connaissances spirituelles offertes aux hommes de l’Antiquité. Chaque époque a sa propre mission pour l’évolution humaine. Maintenant nous devons développer la sagesse des hommes libres : l’anthroposophie

 

L’évolution dont parle Steiner fait partie de ses connaissances d’investigateur spirituel, il fait allusion à l’évolution voulue par les entités spirituelles. Mais pour imaginer cette évolution il faut prendre beaucoup de recul par rapport au minuscule présent que nous pouvons vivre.

 

D’autre part, à une même époque tous les individus, tous les peuples ne sont pas au même niveau de conscience et au même niveau d’évolution. Steiner à son époque disait de ses contemporains que la grande majorité n’était pas au niveau d’évolution de leur propre époque de civilisation et qu’ils en étaient restés à une époque antérieure de l’évolution (en retard sur l’évolution). Un plus petit nombre d’individus dans le monde sont au niveau d’évolution « normal » pour leur époque. Et un très faible pourcentage est en avance sur l’évolution. Parmi eux les initiés, les guides de l’humanité qui sont toujours là à toutes les époques de civilisation.

 

En souhaitant que ces quelques précisions vous aident à vous faire une idée plus complète de la notion de connaissance et d’évolution telles qu’elles sont présentées  dans l’œuvre de R. Steiner.

 

 



[1] « C’est pour toute science que vaut ce que Gœthe a exprimé par ces mots : ‘La théorie, en elle-même, n’a d’utilité que dans la mesure où elle nous fait croire au rapport entre les phénomènes’. Une théorie sert toujours à établir des relations entre des faits isolés de l’expérience. » (R. Steiner : Épistémologie de la pensée Gœthéenne, Fischbacher-Paris, 1967)

[2] Johann Wolfgang von Goethe, romancier, dramaturge, poète, scientifique, théoricien de l'art et homme d'État de la ville libre de Francfort, né le 28 août 1749 à Francfort et mort le 22 mars 1832 à Weimar. (d’après Wikipédia)

[3] Et le livre est dédié « Au Dr EDOUARD VON HARTMANN avec tout le respect profond de l’auteur. EDOUARD VON HARTMANN (1842-1906) est lui-même philosophe, auteur de Philosophie de l’inconscient publié en 1869

[4] « C’est pour toute science que vaut ce que Goethe a exprimé par ces mots : ‘La théorie, en elle-même, n’a d’utilité que dans la mesure où elle nous fait croire au rapport entre les phénomènes’. Une théorie sert toujours à établir des relations entre des faits isolés de l’expérience. » (R. Steiner : Épistémologie de la pensée Gœthéenne, Fischbacher-Paris, 1967)

[5] Emmanuel Kant, (1724, à Königsberg en Prusse – 1804, à Königsberg en Prusse), philosophe allemand, fondateur du criticisme et de la doctrine dite « idéalisme transcendantal »

[6] Emmanuel Kant nomme chose en soi (Ding an sich) ce qui existe en arrière plan, mais échappe à la connaissance car, « quand même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n'en ferions point un pas de plus vers la connaissance de la nature même des objets. » (https://philosciences.com/vocabulaire/424-chose-en-soi). La chose en soi (Ding an sich) est un concept kantien signifiant la réalité telle qu'elle pourrait être pensée indépendamment de toute expérience possible. Le monde de la chose en soi est autre par rapport à celui du phénomène ; il est au-delà de toute connaissance sensible. (Wikipédia)

 [7] Le donné : c’est l’image du monde que l’on reçoit avant toute connaissance. C’est la première impression sans expérience personnelle, sans prédicat fourni par la connaissance, avant tout jugement.

Le prédicat : c’est ce qui est affirmé d’un autre terme.

Le jugement : c’est l’acte qui relie un prédicat à un sujet

[8] On ne peut connaître que par la pensée, activité de l’esprit humain et principe informant qui donne forme aux éléments chaotiques, sans ordre, donnés par les perceptions.

[9] Concept : règle d’après laquelle des éléments incohérents de la perception humaine sont reliés en une unité.Idée : c’est un concept avec un contenu plus vaste ( ex.: organisme) ou un assemblage de concepts.

 


 



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